
Ce n’est pas une pensée drôle aujourd’hui. Mais, pour une fois – et en toute humilité, comme toujours –, elle est peut-être un brin plus profonde que d’habitude. Je sens déjà que je vais me faire quelques inimitiés supplémentaires, mais bon… quand on aime, on ne compte pas. Mon vieux camarade LG me pardonnera. Il commence à être habitué.
Comme une bonne grosse partie de la population européenne, j’ai été contraint de subir, pendant quatre jours d’affilée, un flot continu de commentaires, supputations, envolées lyriques et autres cris de joie hystériques autour d’un match de foot. Pardon, d’un événement planétaire : la rencontre entre deux clubs, Milan d’un côté, Paris de l’autre. Ligue des champions, qu’ils disent. C’est honorable, hein, je n’ai rien contre. En théorie. Perso, j’avoue – et j’assume – que, comme Chirac en son temps, je ne suis pas plus ému que ça. Même si, allez, quelque part, je suis content que le club de Paris ait gagné (haut le pied, comme dirait l’autre). Enfin… le club de Paris… soyons honnêtes : c’est quand même le Qatar qui tire les ficelles. Paris, ce n’est plus qu’un logo sur un maillot sponsorisé par un fonds d’investissement. D’ailleurs, tiens, j’ai remarqué que la maire Hidalgo n’a pas moufté. Je crois qu’elle est un peu fâchée avec le chef du Qatar. Pas une déclaration, pas un tweet… un silence diplomatique. Mais ce qui m’ennuie, ce n’est pas le foot. Le foot, à la base, c’est populaire, c’est collectif, c’est beau, parfois. Ce qui m’ennuie, c’est l’emballement. Cette espèce de déconnexion totale entre le terrain de jeu et le terrain du monde réel. Des centaines de milliers de personnes qui s’embrassent, chantent, pleurent, brandissent des drapeaux et, au passage, brûlent quelques voitures. Pour célébrer des joueurs millionnaires, dont le seul salaire mensuel suffirait à faire vivre plusieurs villages africains pendant des années. Et pendant ce temps-là – car oui, il y a toujours un « pendant ce temps-là » – à deux ou trois heures d’avion de chez nous, on meurt. Littéralement. On bombarde, on explose, on enterre des enfants dans des écoles éventrées. Que ce soit au Moyen-Orient, à l’Est de l’Europe, en Afrique ou en Asie, la tragédie continue. Discrète. Presque en sourdine. Invisible à l’heure du replay. Mais à Paris, on fait la fête. Champagne à l’Élysée. Interviews pleines de vide. Selfies de ministres au bord de la pelouse. C’est la magie du ballon rond : il fait oublier, un instant, que le monde brûle. Je ne demande pas qu’on arrête de vibrer pour un match. Je ne suis pas contre l’enthousiasme, ni contre le sport. Mais quand même… un peu de décence, non ? Juste un peu de conscience du décalage abyssal dans lequel on patauge. Désolé.
OD