C’est un papier de nos confrères des Échos, remarquable, qui m’a replongé dans une époque où le ciel français ressemblait à un vieux salon de notables : tentures épaisses, fauteuils profonds, conversations endormies… et surtout, personne pour déranger le silence sacré d’Air France.
On était dans les années presque 90, cette période où la compagnie nationale et sa petite sœur « intérieure » raflaient 97% du marché.
Autrement dit, le reste n’était pas un marché : juste des miettes tombées du plateau de la cantine ministérielle.
On avait d’un côté le monopole officiel ; de l’autre, son bénéfice officieux : offrir des postes moelleux aux rejetons d’oligarques en quête de carrière sans trop d’efforts. Roissy comme annexe de Sciences Po : rien de neuf sous le soleil.
Pour les charters, un autre personnage régnait : Alexandre Couvelaire. L’homme que Mitterrand et Chirac appelaient par son prénom, ce qui en dit long sur ses réseaux et à peu près rien sur ses compétences.
Teigneux, trépigneur, confondant l’aviation (art complexe) et le transport aérien (industrie impitoyable), il poussera Euralair dans le ravin. On ne sait pas toujours comment, mais on sait que ça s’est produit sous son règne.
Comme quoi l’entregent ne remplace pas l’ingénierie.
Dans ce chaos organisé, un Tunisien au sourire rusé a flairé la brèche.
Lotfi Belhassine, monsieur Festival de Tabarka, monsieur Clubs Aquarius – déjà une philosophie : bronzer oui, mais pas idiot. Vers 1991, il observe le ciel français, verrouillé de partout, et se dit : « Tiens, si j’essayais d’ouvrir une fenêtre ? »
Ainsi naît Air Liberté, première tentative low cost française, bien avant que les Anglais débarquent avec leurs sièges payants et leurs sandwiches en option.
Pendant ce temps, une petite compagnie passionnée, Minerve, accumule doucement du souffle. Elle donnera AOM, portée par l’un des plus grands pros de la profession : Marc Rochet.
Lui savait tenir un avion, une équipe et un budget. Trois compétences qui, à l’époque, relevaient presque du miracle.
Mais voilà : réveiller Air France, c’était comme secouer un ours dans sa tanière.
La bête ouvre un œil… et ce qui suit n’est jamais très sympathique.
La riposte fut immédiate, massive, et surtout impitoyable.
En quelques mois, après des contorsions administratives qui feraient rougir un roman de gare, Air Liberté et AOM sont catapultées dans les bras maladroits de Couvelaire.
Fusion toxique, pilotage à vue, décisions absurdes : tout est en place pour que ça explose.
Et ça n’a pas manqué. L’homme, avant d’aller cultiver son jardin, aura réussi l’exploit de saborder ce qui aurait pu devenir un vrai contre-pouvoir dans le ciel français.
Un « nouveau transport aérien » ? Oui, mais au cimetière des illusions.
Puis, comme un jeu de dominos un peu triste :
Air Littoral, trop sympa,
EAS, disparue,
TAT, avalée par les grands bretons,
Aigle Azur, la tension envers l’Algérie montait,
XL Airways, avalé, trahi par les vents contraires.
D’autres noms aussi, effacés par le temps ou par pudeur nationale.
Aujourd’hui, une seule rescapée flotte encore dans ce ciel autrefois verrouillé : Corsair, devenue International pour faire sérieux – ou pour faire oublier qu’elle aurait pu ne jamais survivre.
Elle tient bon, par miracle ou par obstination, et porte encore – parfois haut, parfois moins – un petit pavillon français.
Ne serait-ce que par respect pour son « presque fondateur », Jacques Maillot, qui avait compris que laisser un monopole tranquille revient à lui offrir les clés du cimetière.
OD
